SEUL A NOEL

Écrit par Eddy van leffe.

Il était bientôt vingt et une heures et maman n’était toujours pas rentrée. Il commençait à être tard même comparé aux autres jours de l’année. Jordy avait faim, il referma son magasine et se leva tout en se drapant dans sa couverture pour ne pas attraper froid. L’appartement n’était pas chauffé autant qu’il aurait du l’être, maman disait que ça coûtait trop cher et fermait automatiquement le chauffage quand elle partait. Jordy regarda le thermomètre et se retourna machinalement vers le radiateur mais n’osa pas le rallumer, il savait ce qu’il en coûtait de désobéir. Il soupira longuement comme si son propre souffle allait le réchauffer, puis il ouvrit le frigo pour y chercher ce qu’il allait lui échoir comme repas en ce jour exceptionnel. Malheureusement, rien de ce qu’il contenait ne pouvait-ou ne pouvait plus-lui servir de pitance, alors il se rabattit sur congélateur pour y trouver une pizza jambon fromage qui allait sauver sa soirée. Pendant que le four préchauffait, Jordy s’empara de la télécommande télé et prit le programme de l’autre main. Il fit rapidement son choix car il n’y avait qu’une seule émission pour enfants; les autres n’étant que des exaltations idiotes de l’esprit de camaraderie de Noël avec l’inévitable couplet sur le bonheur familial, alors que si l’on regarde la télé un soir comme celui là c’est qu’on est « Le » plus seul du monde. Alors il allait regarder le dessin animé d’Astérix comme il l’avait fait l’an dernier. Sur ce il était temps de mettre la pizza au four

« Pfff ! » Soupira-t-il, en regardant une dernière fois l’horloge du salon. Dans cinq minutes il allumerait la télé, dans cinq minutes il ne serait plus seul, dans cinq minutes il ne serait plus malheureux, dans cinq minutes il n’aurait plus de cerveau. Il en vint à penser que l’écran était son meilleur ami, qu’il lui parlait normalement, pas comme un chien.

« Bienvenus mesdames et messieurs », « vous allez passer une excellente soirée en notre compagnie ». Finalement Jordy avait besoin d’entendre ces choses là et la télévision est la seule invention a parler aux parias en leur faisant croire qu’ils appartiennent à la masse.

La pizza était dégueulasse parce que par souci de timing, Jordy ne l’avait pas laissé chauffer assez longtemps mais, il lui inventa une saveur pour que cette soirée soit bonne quand même, il l’appela la saveur du quart monde. Il avait apprit ce que le quart monde était la semaine dernière à l’école. La maîtresse avait même demandé de rapporter des pièces jaunes au profit d’une association quelconque et il s’était autorisé à penser un bref instant qu’ils auraient mieux fait de lui donner directement cet argent. Là il aurait été sûr qu’il arriverait à destination. Mais Jordy se tut cette fois comme tant d’autre et n’osa même pas demander ces petites pièces de couleur à maman, ça n’aurait servi à rien de toute façon.

Astérix mettait la pâtée à un romain et Jordy faisait un dernier sort a sa pizza maintenant complètement gelée. Il porta son assiette jusqu’à l’évier et repartit s’écrouler pour s’abrutir devant la télé qui gagnait en empire psychologique au fur et à mesure que son moral baissait.

C’est à ce moment là que la sonnerie stridente du téléphone vint le sauver ou le damner à jamais.

-Driing!

-Drriiing!

-Drrriiiiiiiiiinngg!

L’engin n’eut pas le temps de sonner une quatrième fois (il aurait pu gagner la valise R.T.L). Jordy avait remis la couverture pour supporter les rigueurs hivernales d’un appartement HLM en fin décembre et se précipita vers la technologie sociabilisatrice.

-Allô…? Allo…?

-Allô! C’est papa! Ca va?

-Oh! Papa! Ouais, ça va!

-Joyeux Noël mon gars!! T’as reçu mon cadeau au moins?

Jordy hésita un instant avant de répondre:

-Ouais t’en fais pas! Il est super! Mais déjà il entendait Nathalie, la « femme » de son père déclamer:

– » T’as bientôt fini? On va arriver en retard! »

-Une minute Nat je parle à Jordy, Tu peux attendre quand même! Alors fiston, j’espère que ça t’a fait marrer en tout cas, j’ai eu du mal à le trouver tu sais!

-T’inquiète pas! Je joue tout le temps avec, c’est vraiment super, crois moi!

Nathalie une nouvelle fois se faisait entendre:

-« Ah ça ! Tu peux le croire avec le prix que ça a coûté ce truc, il peut jouer avec jusqu’au jugement dernier ». Apparemment, cet imbécile et mauvaise femme ne semblait pas réaliser que Jordy pouvait l’entendre ou pire pensa Jordy, elle s’en fichait comme de sa première culotte qui avait déjà du éponger des liqueurs qui n’auraient pas dû effleurer des dentelles de cet age à ce que disait Maman.

-« Bon! Tu viens? Insista t-elle -inutile de préciser « lourdement ».

-Bon! Garçon, Il faut que j’y aille, dis bonjour à maman et n’oublie pas de passer un bon réveillon! Je t’aime!

-Je t’aime papa!

-Bon! Salut! Et…Hé, bonhomme!!

-Oui? !

-Joyeux Noël!

-Joyeux Noël, papa!

Le téléphone fit un bruit sourd lorsqu’il le reposa sur le réceptacle. Bien sûr il avait mal, Il n’avait jamais reçu le cadeau de son père. Maman avait du l’intercepter au courrier et le jeter en voyant qui l’envoyait. Maman était comme ça, elle jetait tout ce qui pouvait lui rappeler son ex-mari. Tout! Sauf le chèque de la pension mensuelle alimentaire. Jordy avait menti sur le cadeau mais ce n’était pas le mensonge qui le faisait souffrir, ni même peut être le fait de ne pas avoir eu ce fameux jouet, mais son père aurait dû s’en rendre compte et venir le chercher, il aurait dû sentir que son fils n’allait pas, Il aurait dû…

Mais à quoi bon! Il aurait dû rester en fait! Voilà c’est tout! Jordy éteint la télé et se réfugia dans le noir pour imaginer son cadeau. Qu’est ce que cela pouvait bien t-il être?

Il avait souvent rêvé d’un vélo mais les plus beaux sont vendu dans le catalogue de l’été et papa savait ça. Il était pas con papa. Enfin si…

L’obscurité a quelque chose de rassurant quand on brûle de colère, on a l’ impression d’être la seule source de lumière. Jordy ne croyait plus en dieu depuis des lustres, alors il se sentait vraiment irradier la pièce par sa seule chaleur. Non! Dieu ne pouvait exister pour le tourmenter ainsi depuis sa naissance. Ou c’est qu’il était le pire sadique qui ait jamais existé. Mais comme Jordy était somme toute optimiste il avait opté pour sa non-existence. C’était plus sain.

Ses pensées oscillaient entre le jouet imaginaire et cette rancune qui bouillait en lui, et cela se mélangeait tant et si bien qu’il finit par fantasmer sur une arme. Il voulait un couteau pour se défendre. Non ! Pour attaquer, pour attaquer et détruire tous ceux qui le blessaient depuis tant d’années. Il voulait tuer.

Jordy avait des fourmis dans les jambes, il avait besoin de se dépenser, de bouger. Il se leva d’un bon, ralluma la lumière du salon, se jeta sur la chaîne Hi-fi pour mettre un disque et le faire gueuler suffisamment pour plus entendre cette voix intérieure qui lui disait de massacrer tout sur son passage, tant pis pour les voisins!

Il écouta le disque et il dansa sur cette musique furieuse, il dansa seul comme un fou possédé peut danser lors d’une nuit de sabbat.

Le texte des chansons parlait souvent de Satan mais Jordy s’en foutait éperdument, il s’éclatait au son des hymnes entêtants de l’album. Comme pour mieux être en phase et décharger ses frustrations, il défit sa ceinture et se mit à décrire des moulinets dans l’air comme s’il était un cow-boy maniant un lasso.

La ceinture.

Satan! Quelle connerie, quel épouvantail à moineaux quand on connaissait sa mère. Il la craignait bien plus. Jordy continuait à s’éclater comme une bête de scène. Il aurait sans doute humilié le « King » s’il l’avait vu.

C’est alors que la boucle du ceinturon ainsi assené dans les airs vînt claquer dans la lampe du salon et la déplaça de son crochet pour la faire balancer dans un drôle de mouvement circulaire qui faisaient danser les ombres à leurs tours, comme si elles voulaient aussi se marier au rythme endiablé du bruit qui sortait des enceintes de la chaîne.

Le crochet.

Jordy stoppa net et hésitât devant ce ballet en ombres chinoises sur ses murs. Il regardait cela comme si cela était un spectacle, puis alla arrêter la musique. Maman va être furax si les voisins se plaignent du bruit, même si c’était le jour de Noël, et même s’il était tout seul ce soir là. Ce n’est pas comme s’il n’avait pas l’habitude d’être seul le soir. La lampe balançait moins et Jordy décida d’aller chercher le tabouret pour réinstaller la lampe sur son support au plafond.

Le tabouret.

Quand il fut revenu, Jordy, toujours la ceinture à la main, posa le tabouret à terre bien juste en dessous du crochet pour fixer l’ampoule brûlante, mais l’horloge se mit à sonner.

Il était minuit. C’était Noël.

Des cris retentirent du dehors, des gens explosaient de joie. Ils hurlaient:

-« Joyeux Noël! Joyeux Noël! »

Et on leur répondait:

-« Joyeux Noël! Joyeux Noël! »

Jordy regarda donc par la fenêtre par réflexe et s’aperçut qu’il neigeait. Comme dans les films, et comme dans les films, c’était beau. Enfin les larmes vinrent, elles coulèrent comme pour laver son visage, ses yeux, son esprit!

« C’est beau mais c’est pas juste! »

C’était ce que se disait Jordy, au fond de son gouffre. Après un autre sanglot long comme un râle, il se retourna vers le tabouret et finalement arranger cette fameuse lampe. Son lacet était défait(Jordy ne portait jamais de pantoufles à la maison, parce qu’il trouvait que c’était pour les vieux.), Quelle poisse! Enfin, les nœuds de lacets c’était au moins une chose qu’il savait faire sans sa mère, et il avait été très fier d’être le premier de sa classe à savoir nouer ses lacets « comme un grand ».

C’était simple un nœud de lacet, ça ressemblait à un nœud coulant en fait…

C’est comme ça que Jordy monta sur le tabouret mais pas pour remettre l’ampoule. Une fois ses parents avant de divorcer avaient dit qu’avoir fait un enfant avait été une erreur.

Et une erreur, ça se répare!

Jordy savait bien faire les nœuds, et il mit moins d’un quart d’heure à mourir.

Un an plus tard, la mère de Jordy vidait une huitième bière, tout en fumant son paquet de gauloise, accoudée à un comptoir de café. Elle hurlait qu’elle détestait Noël, et n’arrêtait pas de pleurer. Le type qui l’accompagnait songeait sérieusement à la larguer tellement elle était saoule et saoulante. Il avait été le troisième type à l’avoir eu cette année. Mais il hésitait, après tout elle était enceinte jusqu’au yeux.

DEDIE AUX ENFANTS DES RUES DE LOOS

JOYEUX NOEL!

FIN

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